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Marin
Albin Michel, 1998.

« …Un roman de Jacques Perry, c’est mieux qu’une cure de thalassothérapie et une semaine sac au dos sur un G.R.: de l’iode à plein poumons, de la nature bruissante, savoureuse, des observations, des découvertes qui enchantent, et à l’arrivée, le sentiment d’être bien dans sa tête et bien dans sa peau. Perry devrait être remboursé par la Sécu! Enfant de deux amants terribles et qui en meurent, Marin trouve refuge auprès d’un papy bourru qui se révèlera des trésors de bonté, et fera, comme il se doit, de la Résistance. De la Rochelle, porte des rêves, jusqu’aux mystères du marais poitevin, l’initiation d’un jeune homme de bonne lignée dans un livre de bon aloi. »

Jean-Philippe Mestre, Journal de Saône et Loire

« … Jacques Perry n’en finit pas d’illustrer, dans ses romans, un perpétuel éloge de la fuite. Lâchés dans la forêt française (Le Ravenala ou L’Arbre du voyageur, prix du Livre Inter), sur L’Ile d’un autre, en Nouvelle-Guinée où l’on cueille les Fruits de la Passion, à Rio (Alcool vert) ou simplement dans le 1er arrondissement de Paris (Le cœur de l’escargot), ses personnages poussent jusqu’à l’indépendance contractuelle (Folie suisse) le besoin de briser la monotonie de l’existence, de résister, par tous les moyens, au confort, ses habitudes, son ennui. La littérature, c’est encore la manière la plus convenable de vivre en rupture de ban, de faire le fou, de s’inventer d’autres destins, de voyager à l’œil.

    En somme, Jacques Perry a fait le tour du monde entre les lignes et bien vécu par prétérition. Tous ses rêves d’îles ensauvagées, d’amours exotiques et d’amnésie (« Je fabriquais l’oubli pour renaître un jour sous la forme d’un autre »), il les rassemble aujourd’hui dans un court et mélancolique roman. Orphelin, à la fin des années 30, d’un capitaine au long cours qui collectionnait les Africains callipyges et d’une Espagnole qui avait la jalousie assassine, le petit Marin est élevé, dans les environs de La Rochelle, par son grand-père, un hobereau dont le cœur est tendre sous les airs bravaches, et la misanthropie, tenace. Il règne dans les marais sur un petit peuple de laboureurs, gorayours, toucherons et femmes à tout faire. Quand la guerre éclate, le grand-père est arrêté par la Gestapo, et le domaine de la Hunauderie, saccagé. Marin trouve alors refuge dans une île entourée de bouchots où, petit prince des aulnes, il attend la Libération en pratiquant l’ostréiculture, l’amour fruste sur un lit de goémon sec, la lecture de Barbey d’Aurevilly et le fatalisme, cette philosophie du clapotis.

    Il y a dans ce roman maraîchin où l’on chique, mange des bouillitures d’anguilles et s’accorde aux marées, des naïvetés qui émeuvent, des rebelles qu’on admire, des ciels qu’on aime et des regrets persistants qu’on partage avec l’auteur. A 77 ans, Jacques Perry a en effet choisi de retourner en enfance, de robinsonner entre terre et mer. C’est donc un sage, doublé d’un poète. »

Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur

« Un coude, et la « cabane » apparut, longue, basse, blanche, le toit fuyant le vent. Douze fenêtres, une grande porte au centre. Une cour molle, grasse, purineuse; une puanteur douce et âcre à la fois, des pavés moussus, de l’herbe près de la maison avec, contre le mur, un parterre de bégonias - j’avais appris à l’école que c’était la fleur inventée par M. Bégon, de Rochefort. J’étais ouvert, traversé, ravi et nerveux. Un chien hirsute tirait sur sa chaîne jusqu’à s’étrangler; il fallait passer à un mètre de ses dents. Pas de boîte à lettres. Une servante apparut magiquement, se saisit du journal, faillit le laisser tomber en nous découvrant, Naudin et moi, s’enfuit vers la maison, en claquant la porte, nous laissant dehors au vent.

    - Il n’ouvrira pas, dit le facteur. Sauf vot’ respect, c’est une buse, un balourd, un bal emmouché. Je ne le vois jamais, même pour les recommendés; il les signe caché. Non! je mens! je le vois pour l’argent une fois l’an, pas pour mon calendrier, non! pour je ne sais quelle pension… quatre mille! C’est des sous! Je traverse le marais avec ma peur et il ne me fait pas entrer, il ne m’offre pas à boire. Elle n’a rien demandé, la Chaussine, pas votre nom, pas celui du p’tit. Elle sait qui vous êtes, allez! On reste là comme des bouchots, on va se mouvrir de coules!

    Impossible de savoir s’il plaisantait ou si, toutes les quatre phrases, la langue lui contrepétait dans la bouche. Nous n’avions pas envie de rire. Le difficile, c’était de se décider: attendre cinq minutes, c’était honnête, presque normal avec les mal-élevés. Après dix minutes, c’est l’angoisse mêlée de colère, la peur-fureur. C’était un homme de sang et de courage, Naudin, à la fois violent et rusé. Il regarda sa montre et s’avança. Le facteur, inquiet, murmura: « Le service… » et fila en pédalant ferme. Je suivis Naudin, m’arrêtai quand il martela la porte à grands coups de poing puis s’arrêta, l’oreille collée au panneau. Aucun bruit dans la maison, un silence de mépris. Alors Naudin se recula, courut, donna de l’épaule.Le pêne céda et mon grand-père apparut.

    Je découvris un homme sec et net, le corps bien dessiné dans un vêtement de chasse en serge raide, le visage glabre, les cheveux taillés en brosse, les yeux gris, une bouche mince sous un nez de rapace, des joues à grands méplats durs, obéissants à un musculature maîtrisée, expressive.

    - Qui êtes-vous? hurla-t-il en direction de Naudin mais les yeux fixés sur moi.

    - Moi? Rien, dit froidement Naudin. Lui, c’est votre petit-fil; son père et sa mère sont morts. Le juge… 

    - Le ju-ge!!!

    Béroald hurla si fort que le chien s’aplatit et rampa jusqu’à sa niche dans un grand bruit de chaîne. La voix de mon grand-père dut crever les nuages car la pluie s’abattit sur lui et sur nous, noyant toute parole. Gervais Béroald recula, claqua la porte de toutes ses forces et la ferma à clef.

    - Abritons-nous, dit Naudin.

    Il alla chercher sa moto et il m’entraîna, en évitant le territoire du chien, sous la plus proche remise. Il ferma la porte m’ordonna de me déshabiller, prit des couvertures pliés sur le siège d’un char à bancs, m’étrilla et m’enveloppa. Lui, il resta trempé.

    Je ne pensais à rien, trop bouleversé pour assembler deux idées. Nous restâmes là, sans dire un mot, tant que la pluie dura. Enfin, les nuages vidés, le soleil perça. Alors Naudin sortit de la remise en m’obligeant à le suivre. Il prit son élan, enfonça la porte, arracha la couverture de mes épaules et me poussa nu dans la maison. 

    Nu, avec mes chaussettes et mes chaussures; nu, sans caleçon; nu, et bizarrement heureux de l’être devant trois servantes accourues, devant mon grand-père stupéfait. Je n’avais rien à faire que d’être nu, je regrettais d’être chaussé. J’aime sentir l’air jouer librement autour de mes fesses et de mon sexe… Pour un peu, je bandais. Mais ce sentiment de forte existence était menacé. Par mon immobilité, je tentais de prolonger cet état suspendu de fascination pure, ce silence juste avant l’explosion. Mon grand-père ne comprenait pas que j’aie pu, si léger, si jeune et si nu, enfoncer la porte; c’est quand il se souvint de Naudin que sa colère s’éclata. Il me poussa, sortit comme une fusée. Au même instant, la moto démarrait pleins gaz. Quand le maître revint, la servante Thérèse m’avait fait enfiler un manteau. Je devais être comique: il m’arrivait aux pieds. Ce que vit Gervais Béroald, c’est que son pardessus enveloppait ma nudité. Tout était joué: il ne pouvais me dépouiller ni me renvoyer dans la pluie et le vent. Il se détourna comme si je n’existais pas, comme si cet incident ridicule était clos. Au moment de sortir, il donna l’ordre à Thérèse de faire réparer la porte. Je restai seul dans l’entrée avec les trois servantes qui rirent enfin de mon accoutrement.

 

(p. 63-67)

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