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Le Ravenala ou L'Arbre du voyageur
Albin Michel, 1976.
Prix du Livre Inter 1976.

    « Avec Le Ravenala ou L’Arbre du voyageur, Jacques Perry nous donne une fable délicate où les enchantements de l’enfance et la célébration de la nature participent à une même quête de la sagesse. L’histoire est d’une simplicité parfaite. Comme celle des gens heureux, elle n’existe presque pas. Elle s’étend sur près de quarante ans et n’est composée que de moments, souvent merveilleux (mais de ce merveilleux qui naît d’un pur accord avec le monde et les autres) et quelquefois émouvants, presque dramatiques: la guerre et la captivité de Guillaume, le père; une cousine et des amis fusillés par les Allemands; le départ du fils aîné en quête d’un arbre inconnu dans la forêt des bords de Loire où vit la famille, et qui reviendra  vingt ans après aussi soudainement et naturellement qu’il était parti. »

Claude Bonnefoy

« J’ai toujours adoré les forêts, et elles m’on toujours fait éprouver un grand sentiment d’angoisse. J’aime les traverses, mais si l’on me proposait de vivre dans une maison comme la maison forestière de mon livre, je n’accepterais pas. Ma demeure idéale serait bâtie à l’orée d’une forêt avec, devant, une immense prairie qui descendrait jusqu’à la mer. Non loin de là, des montagnes… Malheureusement, tout cela me confinerait à la Cordillère des Andes!…

    ...Si votre enfance ne vous a pas laissé de grands souvenirs, il faut s’en inventer une ou plusieurs autres. Mon enfance (parisienne)  ayant été grise et ennuyeuse, j’ai forcément besoin de me plonger dans des enfances agrestes et libres.

    Ce livre n’est pas idéaliste. Je propose un modèle de famille; le père, la mère, les enfants vivent chacun leur vie sans peser sur la vie d’autrui. Ils sont un peu et en même temps très ouverts les uns envers les autres…

    Le narrateur n’a aucune angoisse existentielle. Il vit à fleur de terre dans une espèce de bonheur simple d’exister. Il a de petits moyens. Bien des gens sont comme lui, pas géniaux, mais possesseurs d’un charme. J’ai voulu que le livre exerce lui aussi un charme. A quoi bon montrer toujours les sentines de la société? La littérature n’a pas pour fonction de les décrire. Mon livre n’est pas béat d’optimisme. C’est un roman un peu impressionniste, avec chaque chapitre bouclé sur lui-même, comme un conte. »

Jacques Perry in:

Gilles Dutreix, Nice Matin

    « J’ai dit d’Antoine qu’il était maigre, fort en maths, qu’il sifflait, qu’il n’aimait pas boire dans le verre des autres, qu’il collectionnait les feuilles, qu’il habitait le coeur d’un grand chêne, et qu’il a disparu.

    Il me semble que tout est là. Je comble les vides. Le moindre trait d’Antoine contient pour moi tous les autres. Antoine échappait toujours mais à qui? Nul ne le contraignait. L’autorité de Guillaume et de Sandrine s’exerçait sans tyrannie… la forêt, le rond-point, les routes, la maison, Antoine, Julie et moi, Epinot, le chat, les poules, les canards, les pigeons ramiers. Je nomme les bêtes pour montrer que la chaîne des relations ne s’arrêtait pas à nous. Antoine aimait son père et sa mère, son frère et sa soeur, et les animaux de la maison. Il appartenait à la forêt comme nous tous mais il en sortait souvent et son chêne était assez haut pour lui faire comprendre qu’il faisait aussi partie du ciel. 

    J’ai dit qu’il collectionnait les feuilles des arbres de la forêt, jusqu’à celle d’un ormeau perdu à la lisière, les pieds dans l’eau d’une mare. De la lisière, Antoine apercevait d’autres arbres, isolés dans le pays plat. Il s’aventura. A pied. Puis à bicyclette dès qu’il comprit qu’il irait chercher toujours plus loin, d’arbre en arbre.

    Il entra dans les propriétés closes. Jamais il ne franchissait le mur. Il sonnait, entrait, parlait de sa collection et demandait l’autorisation de prendre une feuille de chaque arbre qu’il ne connaissait pas. Les propriétaires l’accueillaient, prétendaient le mener d’arbre de Judée en sorbier des oiseaux; il disait qu’il avait déjà ces feuilles-là, qu’on ne se dérange pas, qu’on le laisse seul et qu’il n’abîmerait rien. On le laissait aller avec un peu de dépit et d’inquiétude mais son sérieux, et le petit carton à dessin qu’il emportait pour ranger les feuilles, donnaient confiance. Il nous racontait les allées de mignonnette, les ormes pleureurs, les sapins bleus et les herbes des pampas.

    Il préférait les parcs des châteaux, les vieux cèdres et les bambous géants. Les arbres y étaient classiques et si grands qu’ils mangeaient tout l’espace. Antoine récoltait peu de feuilles nouvelles mais pouvait espérer entrer dans une serre et s’emparer d’une feuille de mimosa ou d’oranger.

    D’un château à l’autre, il arriva enfin dans un grand jardin d’hiver qu’un vieux monsieur amateur d’arbres exotiques avait installé. Antoine ne put y entrer seul. On l’accompagna et on le surveilla de près. C’est qu’il n’était pas question de prendre une seule feuille au ravenala ou l’arbre du voyageur rapporté de Madagascar. - « C’est un éventail géant, nous dit Antoine, avec trente-quatre feuilles dans un seul plan. Elles ont plus de quatre mètres! Le monsieur m’a dit que comme elles sont symétriques il ne peut pas m’en donner une. L’arbre serait déparé. »

    Dans le jardin d’hiver, Antoine versa des larmes invisibles. Il se sentait ridicule avec son petit carton à dessin qui avait contenu un jour la feuille de catalpa qu’il croyait la plus grande du monde. »

 

(p.56-58)

« Un jour, j’étais détaché de moi, à la dérive, flottant. Je n’écoutais pas vraiment mais j’étais prêt à m’intéresser à ce qu’on disait, s’il devait arriver qu’on dise quelque chose d’écoutable. Ce fut, pour exercer notre langue à ne pas fourcher « chasseur sachant chasser sans son chien ». La phrase me plut aussitôt. Je ne vis aucun chasseur, aucun chien, je compris le jeu de prononciation, c’était mon domaine. Enfin, on s’intéressait au rythme, à la couleur, à l’accent, au retrait des lèvres, au sifflement des S. Je me proposai, répétai la phrase sans me tromper - « Lambert se réveille », dit le maître. Toute la classe rit et je ris de tout mon coeur. J’étais avec eux. Le brouillard était dissipé. Je voyais toutes les têtes: Nicolas, Germain, Pierre et Stéphane; et les filles, Caroline et Berthe et Rose. C’étaient mes amis dehors et mes amis dans la classe. Nous riions de moi, j’étais avec eux, moi l’écolier sans son chien, le chasseur sans école. D’autres s’essayèrent et se trompèrent. A chaque erreur, c’était un ouragan de rires. Je riais de moins en moins fort. Et plus du tout. J’étais rentré en moi, je retrouvais la solitude, je n’avais plus envie d’être avec eux. Et je commençai à souffrir de leur solidarité. Ils s’amusaient encore. La phrase se renouvelait de bouche en bouche et je ne faisais pas à Pierre l’amitié de rire de son « chacheur ».

    - « Ça ne vous amuse plus, Lambert? » - « Non, monsieur, ça ne m’amuse plus. » Et je le dis d’un ton si vrai, si triste et si définitif qu’il n’osa porter un jugement sur mon attitude. - « Et vous, ça vous amuse encore, Cartier? »  Cartier répéta la phrase; il y eu quelques rire encore mais moins naïfs. - « Beau travail », dit le maître en passant près de moi. Je le regardai sans comprendre. Je ne connaissais pas l’ironie. J’avais toujours entendu les mots employés droit pour ce qu’ils signifiaient. »

 

(p.52-53)

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